Qu’est-ce que la pensée critique ?

Définition de la pensée critique

La pensée critique est une activité de l’esprit qui peut s’exercer vis-à-vis de toute information, affirmation ou opinion. L’exercice de la pensée critique se fonde sur une certaine capacité intellectuelle permettant de raisonner correctement et de tirer des conclusions qui ne soient pas prématurées, mais, au contraire, réfléchies et étayées par des arguments ayant été préalablement soumis au débat contradictoire. La pensée critique apporte une autonomie intellectuelle et une aptitude à prendre des décisions qui ne soient pas entachées de biais cognitifs.

Il faut en premier lieu être au clair sur ce que signifie le terme « critique ». Dans le langage courant, ce terme a pris une tournure péjorative et critiquer désigne communément l’émission d’un jugement négatif à propos de quelque chose ou de quelqu’un. Il ne s’agit pourtant là que d’un sens très particulier du terme. À l’origine, « critique » vient du grec ancien kritikos, adjectif qui qualifie une personne capable de discernement et de jugement, lui-même issu du verbe krinein signifiant séparer, choisir,  décider, passer au tamis.

La critique relève donc avant tout du tri des idées et de l’organisation de la pensée. Lorsque nous exerçons notre pensée critique, il n’est donc pas question d’immodérément tout déprécier et contester. Il s’agit plutôt d’une manière de considérer les choses, en prenant du recul, en posant des questionnements afin de soulever d’éventuels problèmes occultés par l’esprit commun. Au contraire de l’acception courante, il s’agit donc d’être constructif et d’aller dans le sens du bien commun.

Quelle différence y-a-t-il entre « pensée critique » et « esprit critique » ?

Il convient de distinguer s-nsiblement les notions de pensée critique et esprit critique. Bien que les deux expressions soient souvent utilisées alternativement dans le langage courant pour désigner la même chose,  elles ne sont pas réellement synonymes. L’esprit critique, en effet,  que nous pouvons également nommer attitude critique, est l’une des deux composantes du concept global de pensée critique, l’autre composante étant la capacité critique. La pensée critique, en tant que concept global est donc composé deux unités structurantes : l’attitude critique (esprit critique) et la capacité critique (méthode critique)

Pour être un penseur critique, il n’est donc pas suffisant (même si c’est nécessaire) de maîtriser l’évaluation de ses arguments (capacité, ou méthode critique), la personne doit en outre manifester un certain nombre d’attitudes, de dispositions, d’habitudes de pensée et de traits de caractère que nous regrouperons sous l’étiquette d’attitude critique ou esprit critique. De façon générale, cela signifie que le penseur critique doit non seulement être capable d’évaluer ses raisons adéquatement, mais qu’il doit aussi avoir tendance à le faire, y être pré disposé.

Nous pourrions également considérer que la pensée critique exprime la part rationnelle de l’esprit critique. Ainsi, par exemple, Le seul esprit critique pourrait nous amener à juger et condamner tel acte de barbarie sur la base de valeurs humanistes, sans avoir fait, pour autant, l’effort  d’y associer une argumentation simplement rationnelle. De ce point de vue , la pensée critique dépasse l’esprit critique ordinaire et le sublime en lui fournissant les armes de la rationalité. De même, ce n’est qu’en diversifiant les domaines d’application de son esprit critique que l’on peut prétendre atteindre réellement le stade de la pensée critique. En conclusion, l’esprit critique représenterait, en quelque sorte, la posture intellectuelle, l’état d’esprit que le penseur critique doit toujours adopter lorsqu’il est confronté à une nouvelle source d’information.

Autrement dit, l’esprit critique relève d’une posture intellectuelle, alors que la pensée critique est la somme de cette attitude + un ensemble de capacités qui permettent de mener a son terme l’étude critique approfondie d’un domaine déterminé. Soit : Pensée critique = attitude (esprit critique) + capacités (méthode critique)

À cette équation, on pourrait encore ajouter la problématique concernant le niveau de connaissance du sujet étudié. En première analyse, il semble en effet difficile d’être critique sur un sujet que l’on ne maîtrise pas et, l’omniscience étant impossible, l’on peut alors être tenté de recourir à un tiers spécialiste. Mais une telle démarche, loin de faciliter le processus, constitue, en réalité, un frein à la pensée critique car le bon exercice de cette dernière se révèle en pratique indépendante de la connaissance approfondie du sujet. Bien au contraire et au final, la pensée critique apparaît comme la meilleure approche possible d’un sujet peu connu.

Exemples d’attitudes critiques (esprit) et de capacités critiques (méthode)

La dichotomie complémentaire entre attitudes et capacités peut s’illustrer par les deux listes suivantes :

Attitudes de la pensée critique (esprit critique)

  1. Chercher un énoncé clair du problème
  2. Chercher des raisons
  3. Essayer d’être bien informé
  4. Utiliser et mentionner des sources crédibles
  5. Tenir compte de la situation globale
  6. Essayer de rester rattaché au sujet principal
  7. Garder à l’esprit la préoccupation initiale
  8. Considérer des alternatives
  9. Avoir l’esprit ouvert
  10. Avoir autant de précision que le sujet le permet
  11. Procéder d’une manière ordonnée avec les parties d’un tout complexe
  12. Être sensible aux niveau de connaissance et degré de complexité des autres

Capacités de la pensée critique (méthode critique)

  1. Se centrer sur une question
  2. Analyser les arguments
  3. Poser des questions de clarification
  4. Définir les termes et juger les définitions
  5. Identifier les présupposés
  6. Juger la crédibilité d’une source
  7. Distinguer les inductions des déductions
  8. Présenter une argumentation aux tiers

Quels sont les intérêts de développer la pensée critique ?

1 – L’ambiguïté de la lutte contre les soi disant rumeurs infondées, fake news et fausses croyances

La pensée critique se fonde en premier lieu sur le doute et le questionnement. Le domaine médiatique, qui fournit aujourd’hui une surabondance d’informations émanant de sources les plus diverses, nous amène à interroger les choses et à rechercher des réponses. Pour que la recherche soit fructueuse, il est nécessaire de vérifier les sources et le bien-fondé des propos que l’on entend ou des faits qui nous sont relatés. Il s’agit alors de se mettre en quête de preuves pour fonder un jugement solide, que l’on pourra ensuite aisément argumenter et soutenir. Etre capable de discernement et de séparer le vrai du faux apparaît comme une compétence indispensable pour la bonne compréhension du monde complexe dans lequel nous vivons.

Une des caractéristiques les plus remarquables de l’époque actuelle est que le foisonnement informatif lié à la diversité des sources et des canaux de diffusion tend à faire perdre le contrôle de l’information aux maîtres du pouvoir, ce qui constitue, il faut bien le reconnaître, une situation nouvelle et inconnue depuis la fondation du monde. Or cette maîtrise étant une des clefs majeure de leur domination, une lutte sans merci s’est engagée entre les états et l’information non contrôlée, générant de la part des premiers, détenteurs autoproclamés de la vérité, un arsenal législatif destiné à réprimer la seconde, dénigrée sous les vocables rédhibitoires de fake news, rumeurs infondées ou fausses croyances. Dès lors une confusion généralisée s’est installée dans le grand public qui ne sait plus s’il doit exercer son esprit critique vis à vis de l’information officielle ou vis à vis de l’information officieuse, chacune d’entre elles prétendant à la vérité absolue.

Il en résulte bien évidemment que l’esprit critique doit s’exercer indistinctement vis à vis de chaque type d’information, avec toutefois une suspicion naturelle pour celle qui userait de la loi pour chercher à convaincre.

Mais cette recherche de la vérité au sein du maelstrom de la production médiatique ne constitue qu’un aspect particulier de l’esprit critique, concurremment à un autre aspect lié, celui-ci, aux idées générales nourrissant les grandes représentations du monde dans les domaines de l’économie des sciences, de la politique et de la spiritualité. Nous dénommerons le premier aspect : esprit critique factuel et le second, esprit critique idéologique.

2 – L’esprit critique factuel

L’esprit critique factuel se distingue par son caractère d’immédiateté qui nous amène à réagir à des stimuli liés aux événements présents. Cette attitude trouve son terrain d’application dans trois domaines principaux : la politique, la science et les faits divers (pris au sens très large, c’est à dire toutes les informations ne pouvant être directement classifiées dans les deux premières rubriques).

La démarche qui amène à se construire un avis propre, argumenté et solide, et à ne pas juste répéter ce que l’on a lu ou entendu procède nécessairement de la démarche critique. D’une part, elle permet de se préserver du conformisme et de se donner les outils pour entrer véritablement dans le débat d’idées, étape finale de la pensée critique. D’autre part elle préserve de la manipulation, de l’endoctrinement et du dogmatisme. Mais force est de constater que cette exigence ne constitue pas le souci majeur de la plupart des citoyens ordinaires.

3 – L’esprit critique idéologique

L’esprit critique idéologique tend à l’objectivité, il permet de se prémunir des pièges de la subjectivité. Il ne s’agit pas de dire que toute subjectivité est à museler : les émotions, notamment, sont importantes et pouvoir les exprimer est capital. Néanmoins, il faut savoir prendre du recul à leur égard et compenser leur caractère parfois irrationnel avec la rationalité de la pensée critique pour ne pas fonctionner uniquement en se reposant sur des intuitions et des ressentis.

Il s’agit notamment d’apprendre à repérer et à déjouer les biais cognitifs qui nous touchent tous et altèrent subtilement et inconsciemment nos jugements. Parmi ces biais, citons-en deux que la pensée critique peut efficacement mettre en échec :

  • le biais de confirmation qui nous pousse à donner plus de crédit aux informations qui confirment nos idées préconçues et, parallèlement, à disqualifier plus facilement ce qui met à mal ces mêmes idées. Autrement dit, il s’agit de la reluctance que l’on peut avoir à changer d’avis.
  • l’effet de halo qui étend notre perception, positive ou négative, d’une partie à son tout, confirmant ainsi la première impression, partielle, que l’on a pu avoir de ce tout. Par exemple, une manifestation très courante de l’effet de halo est d’attribuer des qualités morales à une personne à partir de son physique : la beauté étant associée au bon et la laideur au mauvais.

La pensée critique est une activité principalement rationnelle, basée sur le questionnement et la remise en cause des préjugés et des opinions toutes faites. Elle nécessite l’exercice de la raison donc la maîtrise du langage, de l’argumentation et de la conceptualisation. La pensée critique aide à faire face aux théories simplificatrices, conspirationnistes, manichéennes, obscurantistes, etc., qui peuvent facilement séduire et piéger de nombreuses personnes.

Les défenseurs de la pensée critique considèrent qu’il est important que l’école apprenne aux enfants à raisonner correctement plutôt que leur faire assimiler des contenus préconstruits. La pratique de la philosophie, dès le plus jeune âge, serait l’un des moyens pour y parvenir.

Comment mettre en oeuvre la pensée critique ?

La pensée critique se fonde sur la notion de critique objective qu’il convient de définir. A défaut d’être innée, l’exercice de la pensée critique nécessite de suivre un apprentissage auprès d’un tiers. Pour cela il convient d’établir un cahier des charges précis de méthodologie critique que chaque professeur/formateur devra impérativement respecter en construisant son cours. Les principaux éléments de ce cahier des charges sont les suivants :

  1. Présenter et expliciter au préalable le domaine à critiquer, de façon aussi neutre que possible
  2. Alerter sur  la différence fondamentale entre la critique subjective (je ne suis pas d’accord, je dirais autrement, …) qui en appelle à l’affect et vise à susciter l’adhésion (militantisme) et la critique objective (c’est faux / c’est vrai , ça ne marche pas / ça marche , ce n’est pas prouvé / c’est prouvé) qui en appelle à la raison et vise à susciter le doute (scepticisme scientifique)
  3. Evacuer les critiques subjectives en les nommant et les répertoriant
  4. Montrer que, dans la plupart des cas, les critiques objectives font défaut
  5. Dérouler la critique objective